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A Plus 2 - Guerre et Paix



Comme tous marins, il nous est acquit comme une seconde nature de se mêler de la bonne entente de Neptune et d'Eole sous peine de se retrouver au milieu d'une scène de ménage qui transforme notre terrain de jeux favori en champ de bataille.


Partis de la fameuse Bora Bora depuis quelques jours pour le plus discret Suwarrow, lagon bleu perdu dans les Cook 750 miles au nord-ouest,l'ambiance était plutôt au moteur dans la pétole pour les deux premiers jours, accompagnés de Juno le bel Oyster 575 et Makena le majestueux Lagoon 620, tous trois prolixes par VHF interposée, tuant le temps en de savants calculs sur nos consommations en précieux diesel, dans des contrées où les pompes à essence sont pour nous des cités urbaines parfois fort distantes.

Le vent s'étant fatigué d'être absent, chaise vide à côté de laquelle le désespoir de trouver mieux s'était confortablement installé, nous devions renoncer à poser nos ancres daans ce beau lagon prometteur où quelques douzaines de requins à temps complet et l'un ou l'autre gardien à temps partiel viennent accueillir le voyageur marin.
Nous tournions donc à gauche de 30° et sans clignotant, direction NIUE, l'un des deux plus petits états du monde à 500 miles au sud-ouest de Suwarrow.

Bien vite fut repérée une dépression centrée sur Tonga - la porte météo d'à côté - qui allait redonner du service à nos logiciels de calcul pour ménager vitesse confort et diesel. "Business as usual" bien entendu, si un front particulièrement remarquable ne s'était pas présenté en travers de notre route.

Le "front" est à la météo ce que la zone de contact est à la guerre. Celui-ci avait la forme tropicale de la banane, orientée nord-ouest / sud-est et contenait violents orages, lourdes pluies et rafales à gogo. Du 60 noeuds promis-juré, Mesdames et Messieurs, de quoi manger le chapeau avant qu'il ne s'envole.

Si depuis Sun Tzu, nous savons qu'il est plus élégant de gagner une guerre sans livrer bataille, le champ de bataille vers lequel nous avancions inexorablement me nous laissait aucune chance, sauf d'éviter de perdre la guerre...

En vaillants guerriers des mers malgré nous, Juno, Makena et A plus 2, s'étaient regroupés dans un cercle de sécurité de 4 miles, pour faire bonne figure au milieu du stade où les modestes descendants des héros d'Homère se présenteront en personne. Un contact toutes les heures pour ce radio-net improvisé à trois, répétition de ce que nous faisons deux fois par jour dans le cadre du Rallye, entrainement salvateur au contact et à la sécurité.

Nos montures furent sitôt préparées pour affronter le pire : arrimage de tous les objets du bord pouvant se transformer en projectiles, vérification des voiles et des manoeuvres de réduction de celles-ci, consignes de sécurité ä l'équipage, tout respirait comme une veille de combat.

Le premier front fut passé haut la main, d'aucuns d'entre nous trois s'étonnant même de la facilité avec laquelle nous nous étions faufilés dans les quelques grains accompagnés d'à peine plus de 35 noeuds de vent. C'était pourtant sanscompter la fourberie d'Eole qui, non contente de son effet d'annonce, allait cette fois sérieusement montrer tous ses talents au vieux Neptune fatigué.

Nos écrans radar se sont subitement revêtus du pourpre uniforme, en écho au déluge qui s'invitait à nos tables. Il était grand temps de "partir à la guerre". Un dernier contact entre nous trois sur le ton d'un *Ave Cesar, morituri te
salutant", focs tempête, tous les ris ou voile dite "suéduoise" (juste un peu de grand'voile, débordée et bien arrimée) pour nous présenter, armes à la main, devant un destin que l'humilité du marin respecte quoiqu'il en soit.

L'attaque fut violente, d'une vivacité se mesurant en secondes, celle que les marins méditerranéens redoute, et d'une grandeur dont seul un océan peut se parer. 50 noeuds de vent à l'attaque sur nos instruments, 56 et 62 noeuds pour Juno et Makena à quelques vagues de nous, les superlatifs nous ont à ce point manqué que nous en avons oublié notre vacation radio, respectant sans doute le silence de la montée au front, une fois que tout ait été dit. Les noeuds supplémentaires s'étaient perdus dans la pudeur de l'âme.

Le spectacle fut grandiose comme tous ces grands phénomènes de la nature qui font trembler de crainte et d'envie, de peur et de défi, de courage et de prière. Le vent, en arbitre sifflant le début du match, fut bientôt couvert par les grondements du tonnerre et les claquements de la foudre, vociférés par des hordes de nuages trônant sur les gradins de l'arène, jetant sans compter leurs pluies aveuglantes comme le riz de la noce. La bataille avait commencée.

Soudain la mer déjà très forte se couchait sous les coups de boutoirs du vent en rafales, puis griffée, scarifiée de plaies blanches et bouillonnantes, prenait sa couleur gris argent, celle-là même qui la fait se confondre avec le ciel au regard sombre des jours de fin du monde. Réfugiés à l'intérieur du bateau dont nous avions refermé la descente, réglés sur une allure de fuite (grand'largue), manoeuvrant le bateau depuis le répétiteur de pilote de barre situé à la table à carte, on aurait pu contempler le spectacle "depuis la fenêtre", si ce n'était l'idée que nous en faisions partie...

Le vieux Neptune en fut tout dépité avec ses vagues en gros dos, mais c'était faire fi des vieux sages qui ne s'en laissent pas compter longtemps devant tant d'impétueuses secousses. Le réveil de notre vieil ami fut wagnérien.

L'ampleur de la houle se déchaîna bientôt pour nous présenter des creux de plus de 5 mètres, surmontés de courtes vagues de sommet, brisant parfois ou venant s'écraser dans leur course dans le cockpit et sur le pont de nos bateaux tels des obstacles non désirés dans cette folle course de la mer et du vent. Les frappes étaient terribles, accompagnées des bruits assassins du choc de tonnes d'eau sur nos fragiles enveloppes. Le spray de ces chocs fuyait ensuite à la vitesse du vent pendant que nous pensions, silencieux : "celle-ci ne nous a rien abîmé, mais qu'en sera-t'il de la prochaine..."


Bientôt habitués, pour ne pas dire résignés à subir ces épreuves, la VHF se remit à crépiter : " A Plus 2 pour Juno, Makena, do you read me?" Le trio semblait avoir survécu, presque sur le ton de la bonne surprise... "Tu as vu ? çà baisse ! il n'y a plus que 35 à 40 noeuds !...", ce qui, soi-dit en passant, n'est pas vraiment un temps à mettre un plaisancier dehors... Ici ma pensée va à tous mes amis marins pêcheurs, commandants ou équipages de navires, dont le métier est la mer, si impitoyable qu'elle en emporte souvent, laissant leurs familles prostrées dans la douleur et le lecteur de faits divers interdit, cherchant du doigt qui est le coupable, sans se rendre compte qu'il est parfois dans son miroir.

Cette fois encore, le happy-end hollywoodien était de rigueur, les petits bobos ayant été réparés le lendemain, pour continuer notre route vers NIUE, quelque part au milieu du Pacifique sud.

Un rallye à la voile autour du monde, celà semble si banal aujourd'hui, et pourtant: la mer parfois difficile n'a pas changé ses humeurs, mais les marins ont la peau qui s'endurcit dans une envie de partager de bons moments ensemble, toujours ensemble. C'est l'un des objectifs de la World Arc.

A mes amis Paul, Caroline et Andrew sur Juno
A mes amis Luc, Sarah, Kaï et Victor sur Makena
A Christiane mon équipière de toujours
Pour tous mes amis, marins ou non

Jean
s.y. A PLUS 2

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